Peut-on influencer sans manipuler ?
L’influence est omniprésente.
Elle façonne nos pensées, nos comportements et nos choix, souvent à notre insu.
Que ce soit à travers la publicité, les réseaux sociaux ou les discours politiques, elle est un outil aussi puissant que dangereux.
Mais où s’arrête l’influence légitime et où commence la manipulation toxique ?
I - Influence ou manipulation : où est la limite ?
On a tendance à croire que l’influence est neutre, qu’elle est simplement une conséquence naturelle de l’interaction sociale.
Mais soyons honnêtes : dès qu’on met un message en avant, on oriente forcément une perception.
Le vrai enjeu, c’est l’intention.
Prenons un exemple simple : dans les années 1920, Edward Bernays, père du marketing moderne, a réussi à faire fumer les femmes en rebrandant la cigarette comme un symbole de liberté.
Une belle opération de communication ? Certainement.
Mais une manipulation pure et simple.
Et aujourd’hui encore, nous voyons des industries utiliser ces mêmes ficelles pour nous vendre du rêve.
Alors comment éviter cet écueil ? La transparence.
Parce que ce qui différencie l’influence éthique de la manipulation, c’est le fait d’armer les individus de leur libre arbitre plutôt que de jouer sur leurs biais inconscients.
II - L’influence bienveillante est-elle possible ?
Si l’influence peut être toxique, alors peut-elle aussi être positive ?
C’est une vraie question.
Google en a fait l’expérience avec sa cafétéria : au lieu d’interdire les cookies, ils les ont simplement placés en retrait, mettant en avant des fruits.
Résultat : les employés ont fait des choix plus sains.
C’est ce qu’on appelle un nudge, un coup de pouce qui influence sans imposer.
Tu connais aussi sûrement le fameux nudge des toilettes des aéroports de Hambourg.
Ils ont simplement mis un sticker de mouche dans les urinoirs pour que les hommes visent droit.
Mais est-ce vraiment différent d’une manipulation ? Car si l’objectif final est positif, doit-on vraiment s’inquiéter de la méthode ? Et peut-on parler de libre arbitre lorsque l’environnement est consciemment modelé pour favoriser une décision plutôt qu’une autre ?
Le problème, c’est que cette logique peut rapidement glisser vers des terrains plus discutables.
Qui décide de ce qui est “bon” ou “mauvais” pour les autres ? L’État, les entreprises, les employeurs, les experts ?
Et surtout, selon quels critères ?
Ce qui semble une bonne intention aujourd’hui peut devenir une restriction demain.
Prenons un exemple extrême : si l’on sait qu’une consommation excessive de sucre nuit à la santé publique, jusqu’où peut-on aller pour « aider » les citoyens à faire les bons choix ?
Un simple repositionnement des produits en rayon, une taxation punitive, ou une interdiction pure et simple ?
III - Les médias et la fabrication du consentement
On aime croire que nous sommes maîtres de nos opinions.
Mais Noam Chomsky nous rappelle dans La Fabrication du consentement que l’information est un champ de bataille où certains imposent leur vision du monde sous couvert d’objectivité.
Regardez les algorithmes des réseaux sociaux : ils nous montrent ce que nous voulons voir, renforçant nos croyances sans jamais les challenger.
Le problème, c’est que même certains CEO des grandes plateformes sociales s’orientent vers des idéologies masculistes et réactionnaires, influençant indirectement la nature des contenus qui émergent et la manière dont les débats sont cadrés.
C’est une influence insidieuse, car elle nous conforte dans une réalité partielle.
Nous avons tous déjà vécu cette situation où nous tombons sur un article, puis sur un autre qui va dans le même sens, jusqu’à être convaincus d’une idée sans jamais avoir exploré son contraire.
Notre environnement informationnel façonne notre vision du monde.
IV - Influence et éthique : une question de responsabilité
Alors, que faire ? Doit-on fuir l’influence comme si elle était un mal absolu ? Pas forcément. Mais nous avons une responsabilité : celle de rendre visibles les mécanismes qui nous influencent et d’encourager une approche plus honnête.
Marshall McLuhan disait : « The medium is the message », soulignant que la manière dont un message est transmis est tout aussi importante que le message lui-même.
Aujourd’hui, cette réflexion s’applique plus que jamais.
Nous avons donc deux chemins possibles :
Exploiter les biais cognitifs, quitte à manipuler.
Privilégier une influence alignée avec des valeurs éthiques, où l’information est donnée avec honnêteté et respect.
Choisir son camp
Nous ne pouvons pas ne pas influencer. Chaque choix de communication a un impact.
L’éthique dans l’influence, c’est avant tout une posture. C’est refuser de manipuler, tout en acceptant que nous avons le pouvoir d’orienter.